David Tilus et Virginie Pochon, Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement, « Sortir des impasses en Haïti », France, mars 2005, Collectif des Associations de Développement en Rhône-Alpes, p.43-44

David TILUS et Virginie POCHON, Groupe d’action francophone pour l’environnement (GAFE),

SORTIR DES IMPASSES EN HAITI

La problématique de la sécurité et la paix en Haïti

L’un des slogans populistes qui avait propulsé Aristide au pouvoir était : Lapé nan tèt, lapé nan vant, ce qui signifie « le ventre rempli et l’esprit serein ». Evidemment ce type de phrases fit grand effet auprès d’une population qui se trouve dans une situation de survie, qui vit dans la crainte et l’insécurité.
Pourtant, à bien y réfléchir, il y a là deux idées fortes : comment envisager une paix et un développement en Haïti quand les gens ont faim, quand les gens ont peur ?

La sécurité de la nation est garantie par un Etat de droit.

En Haïti cet Etat de droit n’existe pas. L’impunité, la corruption, la violence quotidienne et le désordre traduisent les manquements de l’Etat. Pour parler d’un Etat de droit, encore faudrait-il un système judiciaire efficace et opérationnel. Malheureusement, ce n’est pas le cas puisque les dictateurs haïtiens sont condamnés à prendre leur retraite sur la Côte d’Azur (Jean Claude Duvalier), en République dominicaine (Général Henri Namphy), au Panama (Général Raoul Sédras) ou en Afrique du Sud (Jean-Bertrand Aristide) !

La sécurité devrait permettre aux opinions de s’exprimer librement.

En Haïti, ce n’est pas le cas. Nous assistons à la recrudescence d’exactions ciblées, qui limitent, voire annulent la liberté d’opinion et d’expression. Pourtant cette liberté est au cœur de la paix. Trois secteurs sont particulièrement touchés en Haïti :
-# la presse : le journaliste critique n’a d’autre choix que l’autocensure, l’exil ou la mort.
-# Les militants politiques et leurs organisations : les locaux peuvent être impunément saccagés.
-# Les défenseurs des droits de l’homme : leurs responsables reçoivent trop souvent insultes et menaces anonymes.

Woch nan dio pa konn doulé woch nan soleyLa société haïtienne est divisée. Votre couleur de peau, votre nom, la voiture que vous conduisez, la maison et le quartier que vous habitez sont autant de critères de classement des citoyens haïtiens. La frustration, la jalousie et le dédain limitent les passerelles entre des mondes parallèles au sein d’un même peuple. Dans ce contexte, il n’est pas question de construire en commun pour le développement et la paix de la nation. Chacun défend ses intérêts personnels d’abord.

En créole, on dit « sak vid pa kanpe », c’est à dire que la personne n’est pas solide, pas résistante si son estomac n’est pas plein. La majeure partie de la population haïtienne est dans une situation de survie. Des conditions de vie précaire maintiennent ces gens dans un quotidien de labeur pour nourrir la famille et envoyer les enfants à l’école. Il faut savoir qu’Haïti a opté pour la libération de son marché agricole. De ce fait, les tarifs douaniers ont baissé, les restrictions quantitatives à l’importation ont été abolies. Conclusion : les produits agricoles haïtiens sont difficilement compétitifs sur le marché intérieur et la vie des paysans n’en est que plus dure. La lutte contre la misère est un préalable au développement et à la paix, pour que les exclus retrouvent leur place dans leur société. Cette lutte doit être menée au niveau national et international.

La déforestation et la pollution sont deux ennemis de la paix et du développement durable.

La pollution atmosphérique est étouffante, entre gaz d’échappement, poussières et matières en décomposition, les citadins respirent un poison sournois. La déforestation n’en finit pas de raser les collines haïtiennes. Bien que ce soit le cheval de bataille de nombreuses ONG et programmes internationaux, aucun signe significatif ne laisse augurer un futur meilleur. Les spécialistes parlent souvent de situation irréversible. Là où la république dominicaine distribue des réchauds à gaz, Haïti reste le théâtre d’expérimentations internationales où l’argent est copieusement gaspillé.

Des gestes quotidiens peuvent s’avérer dangereux si les conditions d’hygiène minimale ne sont respectées. Le SIDA et tant d’autres fléaux gangrènent Haïti par manque d’informations, de moyens et d’une politique efficace. L’accès aux soins est un déterminant pour parler de développement.

L’école c’est l’apprentissage de la vie en société, du sens des responsabilités.

L’éducation c’est la force d’une nation. En Haïti, les écoles publiques n’offrent qu’un enseignement de faible qualité. En conséquence, les écoles privées sont de véritables fonds de commerce et ceux qui en ont les moyens partent étudier à l’étranger. Constatons que ceux qui partent ne reviennent pas et ceux qui restent doivent se battre et avoir des relations pour espérer trouver un travail.

En conclusion, paix et développement sont indissociables, l’un ne marche pas sans l’autre. Je garde l’espoir qu’Haïti s’en sortira et reprendra le chemin de la paix et du développement. La bonne gouvernance et le développement local sont des clés qui permettent au peuple haïtien de prendre en charge le développement de leur territoire, à condition que les structures d’appui (ONG, collectivités locales) coordonnent leurs actions pour une efficacité optimale, avec pour seul objectif le mieux-être du peuple haïtien.

En réponse aux questions David TILUS et Virginie POCHON apportent les précisions suivantes :

La situation politique à Haïti

« Haïti est un pays spécial », à cause de son histoire. Le problème est typiquement haïtien et la solution sera haïtienne. Ni les expatriés, ni l’aide extérieure, ni la situation intérieure n’encourage les Haïtiens à agir en commun. Rappelons les conditions récentes, avec les milices, les tontons-macoutes. La politique, c’était « diviser pour mieux régner ». Donc les Haïtiens n’ont pas l’habitude de se concerter pour faire quelque chose en commun puisque à chaque fois qu’ils se réunissaient on leur tapait dessus, on les envoyait en prison, on les assassinait. Donc il n’y a pas cette culture de mise en commun pour des projets. C’est vraiment un nouvel apprentissage qui est à faire. C’est pourquoi au GAFE nous parlons d’une prise de conscience individuelle indispensable à une prise de conscience collective. Ce sont les Haïtiens qui doivent trouver les solutions.
Il y a des structures qui travaillent, par exemple des ONG, et au niveau des Universités, des gens qui veulent faire quelque chose. Mais sur le plan politique, c’est là le problème fondamental. Il n’y a pas de partis politiques structurés et organisés. On peut décompter près de 4000 partis politiques, dans un pays de 27750 km2. Ces partis politiques ont pour patrons des « extérieurs »… et ce sont la France, les Etats-Unis qui interfèrent. Un plan est tout de même en train de se mettre en place. Pour participer aux élections, il faudra avoir 12000 à 15000 membres. On est donc en train de prévoir des structures, mais jusqu’à présent ce sont des idées et il n’y a pas vraiment de dispositions pour leur mise en place.

Politique et développement local

L’action à la base a un impact. C’est ce qui a porté Aristide au pouvoir, en travaillant avec les enfants des rues, mais après cela a dérapé. Oui, il y a des actions, mais des actions isolées. Des associations font quelque chose sans concertation avec les gens qui sont responsables, sans les inciter à construire une politique pour sortir le pays de cette situation. Depuis la création de ce pays, ce sont toujours des actions isolées d’associations. Maintenant avec la question du développement local nous avons un atout, mais l’Etat haïtien n’a pas encore vraiment une politique dans ce domaine. Pratiquer la décentralisation, susciter des débats sur le développement local, c’est forcer les associations, les communes, les gens de la société civile à construire quelque chose ensemble sur le long terme.

Pouvoir et contre-pouvoir

Le GAFE pose cette question du contre-pouvoir. Nous sommes en train de rédiger un projet dans le but de créer un outil de formation à travers des diagnostics participatifs, dans le but de former des agents dans le domaine du développement local. L’idée est de trouver une articulation pour mettre autour d’une même table des agents de l’Etat, des associations, et de trouver une solution commune pour construire un projet commun. L’enjeu du développement local, c’est d’arriver à ce que les gens qui ont le pouvoir acceptent de travailler avec des gens qui n’ont pas le pouvoir, mais qui demandent à avoir la parole sur ce qui est fait sur leur territoire. Nous essayons donc d’insérer un projet de développement dans un plan de développement local qui serait élaboré à partir d’un diagnostic participatif de la communauté, ce diagnostic impliquant les politiques, le pouvoir économique et la société civile. Nous allons sortir un outil dans quelques mois et nous allons commencer à le tester à Haïti, dans le cadre de notre projet d’éducation à l’environnement.
En Haïti, comme au Tchad, les magistrats sont propulsés à des postes dont ils ne connaissent ni les responsabilités ni les implications. Le fait d’élaborer des diagnostics participatifs garantit la pérennité du plan de développement. Si les magistrats passent, la concertation reste et garantit la pérennité du plan parce que ce n’est pas une personne qui décide, mais un comité.

Education

Le GAFE développe un projet, « les chemins du savoir ». Nous voulons amener, sur le type bibliobus ou caravane, l’éducation là où elle n’est pas accessible. Et notre centre d’éducation à l’environnement est destiné à accueillir des scolaires pour passer 3 jours sur le terrain. Ainsi les enfants des différents établissements scolaires pourront échanger autour de la thématique de l’environnement.

Liberté d’expression

Il y a d’autres changements. Ainsi je fais des interventions à la radio et je peux analyser et dire : « Cela, ce n’est pas possible, je suis contre telle déclaration ». Maintenant, on peut le faire. Il y a quand même des réactions et des conséquences : coups de fil vindicatifs, menaces … alors qu’avant, après une telle déclaration, on était mort. Aujourd’hui, les pressions sont surtout morales, moins physiques. Au temps des Duvalier, l’expression était impossible. Après, il y a eu un changement. Aristide a tenté de refermer la porte ces dernières années, mais il n’a pas réussi. Maintenant on peut parler. Il y a toujours une psychose de peur, mais entre 1986 et 2005, il y a tout de même un grand changement.