« Défis écologiques en Haïti : Entre hypocrisie institutionnelle et inconscience politique », revue POUR, 2014
Défis écologiques en Haïti : Entre hypocrisie institutionnelle et inconscience politique
Par le Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement (GAFE)
Notre souhait aurait été de proposer un article digne des plus grandes revues scientifiques, à grand renfort de graphiques, de tableaux, et autre schémas pompeux, de poser notre vérité, la rendre indiscutable et incontestable. Il faut dire que ce n’est pas la littérature qui manque ni les rapports d’expertises qui affichent avec sérénité un état catastrophique de l’environnement haïtien. Pourtant, ces derniers temps, nous constatons que des rapports et des discours mitigent les prédictions alarmantes précédemment considérées comme prophétiques. La situation environnementale d’Haïti ne serait pas si délabrée que ce qu’on nous aurait laissé comprendre pendant toutes ces années. Il n’y aurait pas péril en la demeure. Qu’en est-il exactement ? Nous proposons ici d’apporter un éclairage, militant et critique à la fois, sur les enjeux environnementaux actuels et du traitement qui leur est réservé par l’Etat et les acteurs non étatiques.
Entrons dans le vif du sujet qui nous intéresse ici avec un indicateur particulièrement illustratif de l’état de santé de l’environnement haïtien, de sa perception et de son interprétation : la couverture végétale. Intéresserons-nous aux chiffres. Certains avancent le taux de 1,5%, d’autres l’estiment entre 10 et 15% du territoire, en combinant les espaces forestiers restants et les aires en cultures arborées. Avec 1,5%, il y a urgence d’agir. Avec 15%, il n’y a pas de risques imminents. Ça change tout ! La stratégie d’intervention ne sera forcément pas la même. Qu’en est-il exactement ? Nous ne discuterons pas les taux avancés, nous n’en avons ni les compétences, ni les moyens. Par contre nous interrogeons ce qui se cache derrière les chiffres en termes de biodiversité, en termes de patrimoine forestier. Une vision purement économique et/ou agronomique qui sacrifierait la dimension écologique est un mensonge. Déni d’autant plus grave qu’il serait à la base de la définition d’une politique nationale d’aménagement du territoire et de développement économique et social.
Abordons maintenant la déforestation en termes économiques. Il a été calculé qu’aux prix de 2003, l’ensemble de la filière nationale bois-énergie permettait d’économiser près de US$ 90 millions d’importations annuellement. Les quelques 250.000 tonnes de charbon de bois produites localement représentaient plus de $15 millions d’importations de gaz liquide. La valeur de la production dans les filières bois de feu et charbon de bois était évaluée à plus de US$ 300 millions et comptait ainsi pour près de 10% du Produit Intérieur Brut du pays (rapport final, PAGE, 2008). Quel responsable politique ambitieux aurait intérêt à juguler un tel marché sans y risquer sa carrière et/ou ses amitiés ? Actuellement, le discours officiel condamne cette pratique mais dans les faits, rien n’est effectivement mis en place pour la freiner. Le Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement (GAFE) pour sa part n’est pas partisan d’une interdiction totale mais plutôt d’une gestion rationnelle de la ressource avec un accompagnement des entreprises et des foyers pour la conversion énergétique.
Pour finir un tour d’horizon peu reluisant, parlons un peu du peyi andeyò (le monde rural). Deux tiers environ de la population vivent en milieu rural. La superficie cultivable en Haïti serait de 770 000 ha, soit environ 28% de la superficie totale du pays. Cependant en raison notamment de la pression démographique, la superficie cultivée serait de 1 500 000 ha, soit 55% environ de la superficie totale d’un pays principalement montagneux. De plus, l’agriculture haïtienne est plutôt archaïque (culture sur brûlis, élevage libre, outillage désuet…) et les paysans sont livrés à eux-mêmes. Mariez ces paramètres majeurs, ajoutez des conditions climatiques extrêmes (tantôt inondations, tantôt sécheresse) et vous obtenez un sol appauvri, fatigué, surexploité, lessivé. D’ailleurs les terres arables finissent bien volontiers dans la mer.
Dire que la situation environnementale haïtienne n’est pas alarmante est un mensonge éhonté, un crime de non assistance à population en danger. Il est plus facile de mettre en ligne de mire les pratiques culturales traditionnelles, les changements climatiques inéluctables, que de s’attaquer aux problèmes de fond. Le GAFE dénonce l’hypocrisie institutionnelle de la part des agences internationales et autres bailleurs de fonds qui cautionnent une politique irresponsable. On dit encadrer les paysans, on les incite simplement à s’adapter à des conditions de plus en plus difficiles au lieu de proposer un nouveau modèle respectueux de l’environnement et de l’homme. On déclare protéger l’environnement, ce ne sont que des effets d’annonces à caractère démagogique. Par exemple le gouvernement a pris un arrêté contre les ustensiles en styrofoam (Le Moniteur du 10 juillet 2013). Et après ? La vie continue, un arrêté de plus qui n’arrête rien…
Et la société civile dans tout ça ? Il y a les militants, et les opportunistes. La mode est au reboisement. On paye des organisations pour payer des gens pour planter des arbres. Qui peut décemment croire à la durabilité de tels projets ?
Entre hypocrisie institutionnelle et inconscience politique, Haïti n’est pas pauvre. Haïti n’a de pauvres que les esprits de ses responsables irresponsables.